De nouvelles technologies dans la médecine de la transplantation
Des innovations techniques telles que la perfusion par machine ou le « cœur artificiel » contribuent nettement à de meilleurs résultats lors de la transplantation. L’objectif de ces technologies est de mettre un organe à disposition d’un plus grand nombre de patients figurant sur la liste d’attente, tout en améliorant leur qualité de vie pendant le temps d’attente.
Dans ce contexte, des équipes de chercheurs travaillent depuis des années sur des innovations permettant, d’un côté, d’augmenter le volume des dons et, de l’autre, d’améliorer l’état des organes prélevés. De nombreux appareils de perfusion par machine ex vivo ont ainsi été développés au cours des dernières années pour les organes prélevés et sont utilisés dans les hôpitaux. D’autres innovations ont pour but de stabiliser ou d’améliorer l’état de santé des patients afin de rendre possible une transplantation ou de repousser, voire d’éviter parfois la transplantation. Vous en apprendrez plus sur cette phase transitoire appelée « Bridge to transplant » (Passerelle vers une transplantation) dans notre prochain magazine.
La perfusion par machine permet d’évaluer les organes avant la transplantation
Les organes donnés sont actuellement coupés de la circulation sanguine et rincés à froid lors du prélèvement. Ils sont ensuite conservés au froid (à environ 4 °C) dans une boîte de transport remplie de glace. L’organe doit arriver en l’espace de quelques heures dans l’un des six centres de transplantation suisses pour être transplanté le plus rapidement possible. Le foie tolère par exemple un stockage au froid traditionnel jusqu’à douze heures. Cette technique de conservation des organes est très simple et d’un prix avantageux. Elle présente cependant des inconvénients liés aux limites temporelles et au fait qu’il est impossible d’optimiser et d’évaluer l’organe pendant son stockage dans la boîte remplie de glace. Des techniques de perfusion modernes permettent, par contre, d’évaluer ex situ la qualité de l’organe ainsi que d’augmenter l’intervalle de temps avant sa transplantation.
Une perfusion des organes par machine améliore leur qualité
En médecine, le terme de perfusion désigne le passage de liquides par des organes, des tissus ou des vaisseaux sanguins. Dans le cadre de la perfusion par machine ex vivo, l’organe prélevé est relié à un appareil qui le perfuse avec des liquides réfrigérés et enrichis ou non en oxygène, ou qui imite avec du sang la circulation dans le corps humain. L’appareil contrôle exactement le flux et la pression de la perfusion ainsi que la température. De nouvelles perspectives s’ouvrent ainsi aux patients en attente d’un organe. Une irrigation mécanique constante avec une solution réfrigérée et enrichie en oxygène contribue à recharger « énergiquement » un organe donné. De par l’apport d’oxygène à basse température (liquide réfrigéré, « hypothermique »), le chargement des centrales énergétiques de la cellule (mitochondries) s’effectue en douceur, avec une libération minimale de radicaux oxygénés. La perfusion avec du sang à température corporelle (« normothermique ») permet, par contre, d’augmenter considérablement l’intervalle de conservation des organes ex situ et donc d’évaluer un don d’organe et de le traiter, si besoin est.
Un plus grand nombre d’organes transplantables et une sécurité plus élevée pour les patients
Grâce à ces deux techniques de perfusion, hypothermique et normothermique, l’organe peut être transplanté sur le receveur dans un meilleur état que suite au stockage réfrigéré traditionnel dans de la glace. La perfusion par machine permet même d’utiliser un plus grand nombre d’organes. En effet, il est ainsi possible d’évaluer la qualité des dons d’organes avant leur transplantation grâce à des appareils de perfusion, ce qui augmente le volume d’organes transplantables et la sécurité des patients.
De bons résultats en Suisse pour la transplantation des reins
Actuellement, douze appareils sont utilisés dans toute la Suisse pour la perfusion par machine des reins. Si les reins prélevés remplissent des critères précis, définis par le comité de Swisstransplant composé, entre autres, de spécialistes des reins et de la transplantation, ils seront reliés à un appareil de perfusion après leur prélèvement. Il s’agit ici de « reins ECD » (Extended Criteria Donor, ECD, ou donneur à critères élargis) et de reins prélevés sur un donneur décédé après un arrêt cardio-circulatoire (Donors after Cardio-Circulatory Death, DCD). Ces reins sont perfusés tout en étant transportés simultanément du centre de prélèvement au centre de transplantation, le tout dans le respect de conditions strictement régulées. Ce processus est cependant plus onéreux et fait appel à une logistique plus complexe, nécessitant plus de ressources que le simple stockage réfrigéré. Par conséquent, seuls les reins, pour lesquels les avantages de la perfusion ont été prouvés dans des études, sont reliés à des appareils de perfusion. Il s’agit par exemple de reins de donneurs DCD âgés de plus de 70 ans ou de donneurs souffrant d’hypertension, qui remplissent ainsi les critères mentionnés. Environ un tiers des reins sont perfusés aujourd’hui en Suisse.
Une nouvelle norme, de nouvelles chances, un long chemin
Les différents organes à transplanter nécessitent des appareils et des technologies spécifiques. Pour la transplantation du foie ou du cœur, cette technologie n’a pas encore été largement introduite en Suisse, mais il est prévu de le faire en 2022. Des questions sont toujours en cours de discussion. Il s’agit par exemple de savoir quel type de perfusion par machine permettra d’obtenir les meilleurs résultats en utilisant quel liquide à quel moment et à partir de quand doit être ajouté l’oxygène. Actuellement, les différentes techniques de perfusion et de nouvelles options thérapeutiques de la perfusion par machine sont étudiées en détail dans le monde entier. Il existe différentes approches pour de nouvelles options de traitement, entre autres, l’essai de dégraissage ex situ de foies stéatosiques avant une transplantation. De premiers résultats d’analyses très prometteurs sont déjà disponibles au niveau expérimental, mais nécessitent encore des recherches plus approfondies. Il apparaît cependant de plus en plus clairement que la qualité de l’organe continue de s’améliorer grâce à des méthodes de conservation innovantes. Il est donc possible de s’imaginer, à l’avenir, une centralisation dans des « centres de perfusion » où les organes seraient perfusés, examinés et traités avant d’être transportés vers des centres de transplantation.
Texte : R.X. Sousa Da Silva, J. Eden, A. Schlegel, P. Dutkowski
Pr Dr Philipp Dutkowski
Chef de clinique, chef du service de chirurgie de transplantation abdominale, clinique de chirurgie viscérale et de transplantation, hôpital universitaire de Zurich
Président du STAL (groupe de travail suisse sur la transplantation du foie)
Les appareils de perfusion augmentent-ils le nombre d’organes transplantables ?
Grâce à la vérification de l’organe pendant la perfusion, il est possible de faire un premier constat de ses fonctions. De plus en plus d’organes détériorés sont à disposition, mais ils peuvent être transplantés si leurs fonctions sont intactes, sans pour autant mettre en danger la sécurité du receveur. Il est ainsi possible de transplanter tous les ans en Suisse une trentaine de foies, qui auraient été rejetés sans appareils de perfusion.
Le nombre de rejets après la transplantation peut-il ainsi diminuer ?
De nombreuses études publiées entre-temps montrent la supériorité de la perfusion par machine par rapport au stockage dans de la glace. Un nombre réduit de réactions de rejet a en particulier été observé, ce qui se traduit, pour des transplantations du foie, par un moindre taux de modifications des voies biliaires à moyen et à long terme. Le nombre d’interventions nécessaires a donc diminué. Au niveau de la transplantation des reins, il a été démontré en détail dans plusieurs modèles animaux que la perfusion par machine hypothermique permet de réduire tous les mécanismes impliqués au niveau cellulaire, à l’origine des lésions de reperfusion et de réactions de rejet.
Quels défis s’agit-il de relever ?
La perfusion par machine est un domaine qui prend de plus en plus d’importance et implique de multiples acteurs et intérêts. Le danger est donc que de nouvelles connaissances aient besoin de beaucoup de temps avant d’être mises en œuvre dans le quotidien hospitalier. Les options thérapeutiques, mais aussi la complexité de la perfusion par machine, augmentent en permanence et nécessitent des ressources considérables, dédiées à leur recherche. Il est donc souhaitable de créer des centres de perfusion nationaux, voire internationaux, qui regrouperaient le savoir-faire et serviraient de centres de formation aux chirurgiens de la transplantation et au personnel médical.
Dans cinq à dix ans, tous les organes à transplanter seront-ils auparavant reliés à des appareils de perfusion ?
L’utilité de la perfusion par machine est d’évaluer les organes critiques et de les traiter avant leur transplantation. Des organes qui sont en parfait état en soi, aussi bien au niveau des critères définis que pour l’opération de prélèvement, n’ont pas besoin de perfusion par machine. Ces organes continueront à être transplantés directement, sans perfusion par machine. Il ne faut pas oublier que la perfusion par machine est onéreuse et demande du personnel, des ressources qui doivent continuer à être utilisées du mieux possible.
Quels sont personnellement vos souhaits en termes de don d’organes et de transplantation ?
J’aimerais que la disposition au don d’organes soit plus élevée et que de nouvelles méthodes de mesure soient validées pour autoriser une évaluation reproductible et sûre des organes critiques avant leur transplantation. L’avenir semble prometteur et fait apparaître des efforts nationaux et internationaux visant à améliorer et à établir la perfusion par machine.
P. Dutkowski (MD) commence en 1993 sa carrière chirurgicale à la clinique universitaire de Mayence, en Allemagne. Après un séjour dans le Wisconsin, États-Unis, où il travaille dans le célèbre laboratoire de Folkert Belzer en 1995, il développe l’idée d’une perfusion oxygénée hypothermique (Hypothermic Oxygenated Perfusion, HOPE) de greffes de foie humain, avec laquelle il passe son habilitation en 2001. Après son arrivée à l’hôpital universitaire de Zurich, la méthode HOPE est utilisée peu à peu pour des applications cliniques. Une étude randomisée multicentrique européenne portant sur l’utilisation de HOPE pour la transplantation du foie a été clôturée cette année et sera bientôt publiée.